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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 09:45

Ciel.jpg

Salut papa. Deux mots, tous simples, murmurés en ce début d’hiver alors que l’année vit ses derniers jours. Deux mots murmurés sous un ciel gris par un après midi de décembre, et un froid qui mord à travers les manteaux. Nous devons être à peine plus chauds que toi, papa. Nous, ta famille, les amis, les voisins, tous ceux qui ont tenu à t’accompagner une dernière fois dans ce cimetière. Je jette ma rose rouge qui tombe bien alignée dans l’axe de ton cercueil. C’est curieux comme nous nous attachons parfois à des détails, je serais presque heureux que ma rose soit « bien tombée ».

 

« Ton père nous a quitté cette nuit ». Quelques autres mots, par lesquels, le dernier acte de ta vie s’est terminé. Ils sont prononcés avec douleur au téléphone le lendemain de noël par ma mère, ta femme depuis 1946. J’écoute un peu comme si elle me faisait un compte rendu ne me concernant pas directement, un peu détaché. Ah ces vieux réflexes d’homme mal placés qui nous collent au corps et au cœur. Ou serait-ce tout simplement une manière de ne pas accepter la vérité, pas tout de suite, histoire de gagner encore un peu de temps. Je ne pleure pas, cela viendra plus tard. Je respire de grandes bouffées d’air et je souffle. Et puis, je reprends avec tristesse mon occupation interrompue par le téléphone en attendant le retour de Nathalie.

 

Surpris ? Oui et non. Mon père allait avoir quatre vingt dix ans. Et jusqu’à ses dernières années, il n’avait jamais connu de médecins ou toute autre profession médicale de près ou de loin. Malgré tout, conscient des réalités de la vie, je savais qu’un jour ou l’autre son âme repartirait d’où elle était venue. Alors je me préparais à cette nouvelle fatidique. Chaque anniversaire, chaque noël étaient du temps de gagné même si nous ne nous voyions pas beaucoup. Et puis après de longs mois sans visite, je le revois début décembre et là il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il n’est pas malade, il est fatigué. Il se déplace avec grandes difficultés, sourd depuis longtemps, il vit maintenant totalement dans son monde, me reconnaît à peine. Son regard est pourtant toujours présent mais je ne peux pas dire s’il est rieur ou triste, sans doute les deux à la fois. Et que voit-il ? Ce qui me frappe le plus, c’est sa fragilité, il suffirait d’un simple souffle d’Eole pour le faire tomber. Il ne lève plus les pieds comme si la vie représentait un fardeau trop lourd sur ses épaules devenues trop frêles. Et pourtant en son temps, mon père avait été un héros. Mais ne le sommes nous pas tous, à notre niveau ? A la guerre, en se portant au secours de camarades sous le feu de l’ennemi, mais surtout en élevant quatre enfants avec ses moyens. Quatre enfants qui ont toujours mangé à leur faim. C’est vrai. Mais mon père a été plus nourricier que père « paternel ». En ce temps là, à la sortie de la guerre, passé l’euphorie de la libération, des effusions des retrouvailles, le temps de la reconstruction s’était rapidement imposé. Vivre, rebâtir, manger. Certes, nous n’avons manqué de rien vu de l’extérieur et je l’ai longtemps cru. Aujourd’hui avec mes propres thérapies et mon métier, je me rends compte qu’il nous a manqué l’essentiel pour un enfant, la preuve d’amour de ses parents. Ne vous méprenez pas, je ne juge pas, je ne fais que reconnaître une vérité que j’ai appris à accepter. Mon père et ma mère nous aimaient, nous n’avons pas été jetés dans la rue, délaissés, mais nous n’avons pas été embrassés dans tous les sens du terme, secondés, reconnus comme un enfant peut le souhaiter. Je n’ai pas non plus souvenir d’avoir joué avec mon père. Pas de regrets ni de reproches, c’était l’air du temps, les pères travaillaient, rentraient fatigués, les mères nous faisaient réciter les devoirs et au lit ! Il est souvent dit que l’on ne nous apprend pas à être parent mais comme c’était vrai à l’époque !

 

Et puis mon tour vint d’être père, d’être inquiet mais surtout heureux de l’être. J’ai aussi compris la difficulté de l’être, « agir pour le bien » de ses enfants, du moins avec notre vision du moment qui n’est pas la leur et qui n’est plus la nôtre plus tard. Difficile le métier de parent…

 

Nous sommes là, nombreux sur le trottoir devant le parvis de l’église à attendre l’arrivée de ton corbillard. Lorsqu’il est enfin garé, j’ose à peine regarder ton cercueil que les quatre porteurs semblent soulever sans effort comme si ton corps n’était déjà plus qu’une brume vaporeuse, de l’énergie pure. Je ne sais même pas si l’église est froide ou pas. La dernière cérémonie à laquelle j’ai assistée dans ce lieu est ma communion, cela ne date pas d’hier. Un autre âge, une autre émotion… Tiens des souvenirs de vacances me reviennent, des discussions animées, certaines passions partagées lorsque j’étais jeune adulte, quelques instants rares mais privilégiés se bousculent dans mon esprit…

 

Ton cercueil est maintenant posé sur deux tréteaux, devant l’hôtel. Excuse moi papa, je ne peux pas encore le regarder, c’est trop tôt, trop difficile. Je regarde droit devant moi, en évitant soigneusement de tourner le regard vers la gauche, vers toi. Mais comme aurait pu chanter Brel, « dire qu’il n’y a même pas de curé ». Même si je n’ai plus besoin d’être catholique pour ressentir le Divin en moi, je suis triste devant une telle tragédie. Ne plus être capable d’honorer dignement la demande d’un des siens par un vrai rituel sacré, est pour moi la pire preuve du naufrage d’une religion. Bien sûr papa, nous sommes là quand même, je vais même lire un texte pour toi. C’est d’ailleurs le moment. Je serre les dents et je souffle en même temps que je me lève. Je longe ton cercueil en visant les marches de l’autel. Tiens c’est amusant, j’avais toujours envie d’y aller lorsque j’étais petit. Je ne vois même pas la foule devant moi. Je ne trouve pas mes lunettes, je ne pensais pas avoir autant de poches dans un seul vêtement. Chacun attend en silence. J’essaye de garder mon calme, ma concentration. Je ne vois que des têtes anonymes, je ne peux regarder personne. Je les trouve enfin, les pose calmement sur le nez et je lis en faisant attention aux liaisons, à la prononciation comme à l’école. Les bouées auxquelles nous nous raccrochons sont souvent étranges mais tellement significatives. Je dois redescendre les marches, je regarde où je mets les pieds, je rejoins ma place, c’est fini. D’autres personnes prennent la parole et puis la cérémonie touche à sa fin. Dire que tu n’as même pas d’éloge funèbre. De nouveau, ta dernière demeure s’élève facilement sous l’impulsion des quatre porteurs. Nous te suivons dans l’allée centrale, je suppose que les cloches sonnent.

 

Dernière épreuve, le cimetière. Nous te suivons, toi motorisé si j’ose dire et nous à pied. Il fait froid. Il y a un petit vent et les nuages sont bas un peu comme pour former une sorte de cocon au dessus de toi. Et puis, de loin, je te vois disparaître dans ce trou. Ils remontent les sangles. Des roses sont distribuées à chacun d’entre nous. Elles t’accompagneront lors ton dernier voyage. Un dernier regard, la rose posée dans le même alignement que toi. « Salut Papa ».  

 

Bien sûr, il y a ce que nous savons, nos certitudes, nos croyances. J’ai déjà développé dans un article précédent ce qu’est pour moi le cheminement de l’âme. C’est tellement facile d’expliquer ou de parler en général. Mais lorsque nous sommes touchés au fond de notre être, nous pouvons alors nous retrouver devant le miroir, face à nous. Dois-je être accablé par la mort de mon père, inconsolable, joyeux pour lui, pour son âme, dois-je penser à moi, aux autres proches, faut-il être politiquement correct ? Aujourd’hui parce que j’ai longuement réfléchi avant d’écrire ces lignes, je peux dire qu’il faut être Soi.

 

J’ignore si mon père a accompli les buts qu’ils s’étaient fixés, s’il a été vraiment heureux, malheureux, s’il avait rêvé d’une autre vie. Il n’y a que lui qui aurait pu répondre, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Je n’étais pas toujours d’accord avec lui, peut-être l’ai-je déçu, parfois empli de fierté, sans doute un peu les deux à la fois, selon les moments. En fait, ce n’est plus très important. Son âme s’est incarnée dans un bébé en 1921 parce qu’elle avait des choses à comprendre, à travailler. La mienne l’a choisi pour partager toutes ces années avec lui, pour apprendre de lui, recevoir un héritage, parfois plus ou moins lourd à porter (comme tous nos héritages transgénérationnels). Peut-être lui ai-je aussi appris. Qui sait ? Mais n’oublions pas que nos âmes ont choisi, donc… La tristesse que j’éprouve est toute naturelle même si je pense sincèrement qu’il est plus heureux aujourd’hui que lorsque chaque jour emportait une petite part de plus de faculté et de conscience. J’ai plus été choqué de le voir tel qu’il était devenu que par sa mort brutale que je considère libératrice. Alors aujourd’hui, j’aide son âme à retrouver cette lumière divine, cette essence dont nous gardons tous la nostalgie au fond de nous toute notre vie. Les rôles sont inversés, j’essaye dans la mesure de mes moyens de lui servir de guide par mes méditations, par mon amour et ma certitude en l’éternité de l’âme.

 

Tu vois Papa, des choses importantes manquaient lors de ton enterrement, le Sacré sans quoi rien ne peut se faire et un bref historique de ta vie. J’ai comblé l’absence du sacré par une méditation particulière et pour ton éloge, j’ai parlé un peu de toi ici et beaucoup ailleurs. Les manques sont réparés. Je sais que tu es monté maintenant et pour finir je dirai ce que je ne t’ai jamais dit sans doute : « je t’aime Papa, à un de ces jours. »

 

                                                                                              Jean

                                                                                        

PS : Désolé si cet article peut sembler hors sujet. Je voulais juste partager ma tristesse avec vous qui, si vous êtes sur ce blog, me comprenez forcément. Mais surtout que la mort n’est pas une fin, que notre âme nous survit riche de tout ce qu’elle apprit. Et que toute la tristesse légitime que nous pouvons ressentir ne doit pas nous empêcher de laisser partir l’Autre. Et, par amour de l’Autre justement, nous devons faire en sorte d’entretenir son souvenir mais dans la justesse et non l’adulation. 

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commentaires

E
<br /> Merci Isa de t'être comme moi préoccupée de son âme. Et tu as raison pour le texte, comme quoi, dès que cela nous touche, nous pouvons toujours avoir ll'impression d'ennuyer les autres. Promis, je<br /> vais me soigner là-dessus aussi. A bientôt. Jean<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> ne soit surtout pas désolé de penser que tu es hors sujet car qu'est ce qui peut être plus sujet que le parcours d'une âme qui rejoint sa maison d'origine.... ton texte n'est ni pathétique ni<br /> pleurnichard il à l'immense mérite d'être authentique plein de sagesse et de sensibilité, sans sensiblerie. Je me joins à toi pour chanter l'ascession de son âme qui est bien arrivée à destination.<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Merci Carole, bienvenue à toi aussi !<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Bonjour, bienvenue dans ma communauté. A+<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Merci à vous deux. Votre attention me touche beaucoup. Chacun d'entre nous risque un jour ou l'autre d'être confronté à cette situation. La plupart du temps, elle est difficile sans être<br /> heureusement insurmontable. Je voulais juste témoigner que la tristesse est naturelle, que même "préparé" on souffre mais que rien n'est irrémédiable et que les non dits peuvent être dits après. Et<br /> puis surtout, c'est la Vie. Merci à vous.<br /> Jean<br /> <br /> <br />
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